Porquerolles, décembre 2024
L’île n’est pas contente…
Benoît observait le ciel noir d’encre quand un éclair déchira l’obscurité, immédiatement suivi par la lourde plainte du grondement orageux. Le premier depuis l’été, songea l’homme d’une trentaine d’années en se dirigeant vers l’intérieur de sa boutique.
Cette fois-ci, elle est même en colère.
Bien qu’habitant Porquerolles depuis seulement huit ans, il avait appris à en détecter les humeurs. C’est un vieil habitant qui, un soir de juillet, à l’ombre des peupliers entourant la place d’Armes, lui avait expliqué comment l’île s’exprimait : « Les tempêtes, les orages, les jours de grand vent, la sécheresse prématurée manifestent son mal-être. Les jours calmes, les récoltes d’olives généreuses, la soyeuse apparence de la mer, son bien-être. » Au début, Benoît s’était amusé de cet animisme provençal, lui qui avait jusqu’alors vécu à Paris. Au fil des conversations avec les Porquerollais, il avait compris que rien de tout cela n’était vraiment sérieux. Que chacun croyait en l’île sans réellement y croire, juste pour le folklore. Cette rationalité s’effritait cependant quand le temps tournait au mauvais, quand les pêcheurs voyaient leurs barques amarrées tanguer avec violence sur le ressac ou lorsque la sécheresse épuisait les arbres fruitiers. Alors les hommes et les femmes se rassemblaient plus nombreux dans la fraîcheur de l’église du village. Certains pour prier
le crucifié. D’autres pour prier la terre sous leurs pieds. Ensuite, aux terrasses des cafés, à l’heure de l’apéritif, les visages ravinés, d’habitude enjoués, demeuraient sérieux et songeurs, comme voilés d’une malédiction. C’est donc à force de côtoyer les insulaires qu’à chaque fois que l’air s’alourdissait d’une promesse d’orage, Benoît ne pouvait s’empêcher de penser que l’île était malheureuse.
Et qu’elle voulait que ses habitants le sachent. |