« Je suis fier d’être pédophile » explique Joël Le Scouarnec.
Le procès de Joël Le Scouarnec débute ce lundi 24 février 2025. Une affaire exceptionnelle pour la justice française. L’ancienne cour criminelle du Morbihan devra juger l’ex-chirurgien pour des viols aggravés et des violences sexuelles aggravées sur 299 victimes, majoritairement des enfants. Ces crimes ont été perpétrés durant 30 ans sans qu’il soit inquiétés.
Le 2 mai 2017, à Jonzac, Charente-Maritime, les gendarmes effectuent une perquisition chez Joël Le Scouarnec. La propreté des lieux laisse à désirer. Le médecin réside en solitaire, sauf lorsqu’il se rend à l’hôpital pour exercer son activité professionnelle. Il passe énormément de temps sans vêtements devant son ordinateur, seul avec sa bouteille de whisky. En entrant dans la maison, les enquêteurs sont loin d’imaginer qu’ils vont mettre au jour la plus grande affaire de pédocriminalité en France.
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Les parents d’une petite fille de 6 ans ont déposé une plainte à la gendarmerie de Jonzac une semaine plus tôt. Elle a raconté qu’elle avait été témoin d’exhibitions sexuelles de la part de l’ancien chirurgien dans le jardin de sa famille et qu’elle avait été pénétrée avec les doigts à travers le grillage.
Âgé de 66 ans au moment de son arrestation, ce chirurgien viscéral, réputé dans sa commune, exerçait depuis 36 ans. La veille de la perquisition, il venait tout juste de prendre sa retraite.
Pendant trois décennies, il a réussi à échapper à toute vigilance, malgré plusieurs signalements concernant son comportement. Les enquêteurs ont pris la mesure de sa perversité à mesure qu’ils exploraient son domicile.
D’abord, les gendarmes ont trouvé des poupées, environ 70, pour garçons et filles, allant du bébé jusqu’à l’enfant de 12 ans. Il y avait des godemichets attachés par Joël Le Scouarnec sur certaines. Par ailleurs, sa maison était remplie de jouets sexuels, de perruques et d’images pédopornographiques. Sous son matelas, on a découvert des disques durs contenant plus de 300 000 documents, dont certains d’une violence exceptionnelle.
Le chirurgien a également réalisé des photomontages à partir de photos d’enfants, ainsi que d’autres éléments prouvant ses activités sadomasochistes, scatophiles et zoophiles avec ses animaux de compagnie.
Particulièrement, les enquêteurs tombent sur ce qu’ils ont appelé les ‘carnets noirs’ du chirurgien. Pendant une trentaine d’années, Joël Le Scouarnec a écrit des histoires pédopornographiques à partir de cahiers manuscrits, comme ‘Mes lettres pédophiles’, dans un style qui se voulait littéraire.
On a également découvert des fichiers informatiques appelés « Quequette » et « Vulvette ». Le chirurgien avait inscrit jour après jour les noms de centaines de patients, la plupart étant mineurs, sur lesquels il avait pratiqué des actes pédophiles tels que des attouchements sexuels et des pénétrations vaginales et anales avec les doigts. Joël Le Scouarnec y consignait toujours de manière identique le nom du patient, son âge, son lieu de résidence, l’hôpital où il travaillait, la date et la description des actes qu’il avait commis. Il racontait aussi ce qu’il avait éprouvé en commettant ses actes, en s’adressant directement à sa victime.
« Tout en fumant ma cigarette du matin, j’ai réfléchi au fait que je suis un grand pervers. Je suis à la fois exhibitionniste […] voyeur, sadique, masochiste, scatologique, fétichiste […], pédophile. Et j’en suis très heureux. »
Extrait d’un des carnets noirs de Joël le Scouarnec, le 10 avril 2004.
Les premiers actes pédophiles commis contre ses patients remontent à 1985 et deviennent de plus en plus fréquents, jusqu’à être quasiment quotidiens. Il s’agit en premier lieu d’attouchements sexuels qu’il effectue sous couvert d’actes médicaux et qui peuvent sembler légitimes pour les patients, leur famille ou le personnel médical. Des actions qu’il entreprend alors que ses victimes sont anesthésiées ou ne peuvent pas prendre pleinement conscience de la réalité.
Joël Le Scouarnec commet ses crimes au gré de ses affectations. Il est chirurgien contractuel et effectue de nombreux remplacements dans le grand Ouest. Au cours de sa carrière, il exercera dans une quinzaine d’établissements hospitaliers : à Lorient (56), Quimperlé (29), Le Mans (72), Nantes (44), Saint-Brieuc (22) ou encore Flers (61). C’est à la clinique du Sacré-cœur à Vannes, où il travaille régulièrement entre 1994 et 2003, qu’il fera le plus de victimes. Probablement, plus de deux cents.
Il repère sa proie à chaque fois et saisit toutes les opportunités qui s’offrent à lui. Il arrive souvent que les patients viennent pour subir une opération de l’appendicite, parfois en urgence. Il commet des actes pédophiles à l’encontre des filles comme des garçons. Certains ne sont âgés que de quelques mois, d’autres peuvent être adultes. Le parquet de Lorient a recensé 299 victimes dont l’âge moyen est de 11 ans.
« Il faut savoir être patient et compter sur sa chance. »
Joël Le Scouarnec, dans un de ses carnets noirs
Il est rare qu’il commette ces actes criminels en bloc opératoire, car le risque d’être découvert est trop élevé. Il se débrouille pour se retrouver seul dans la chambre des patients. Les enfants sont souvent endormis, groggy, mais aussi parfois parfaitement éveillés. Plusieurs personnes ont rapporté qu’elles n’avaient rien remarqué, considérant ces gestes comme des actes médicaux.
Lorsqu’il relate ses faits dans ses carnets, il semble apprécier de les revivre, tout en exprimant également un certain nombre de fantasmes. Il aborde toujours directement ses victimes en les nommant par leur prénom, en les qualifiant de « Ma chère… » ou « Mon petit… », et en terminant parfois par un « je t’aime ».
Certains patients ne subissent qu’une seule fois les actions du Docteur Le Scouarnec ; d’autres, hospitalisés à long terme, endurent un véritable calvaire. Le médecin décrit de manière précise des caresses, des masturbations de petits garçons, des pénétrations anales et vaginales avec les doigts, indiquant parfois ‘déguster’ les sécrétions, une fois de retour dans son bureau. Pendant ses auditions, le chirurgien nie en revanche avoir touché ses victimes avec son sexe.
Joël Le Scouarnec a failli être découvert à plusieurs reprises. Initialement, pas son entourage, car sa perversité pédophile commence dans le cercle familial alors qu’il a 35 ans. Il raconte avoir ressenti ses premières pulsions au contact de sa petite-nièce qui « venait souvent sur [ses] genoux ». À partir de là, dit-il, « le pli était pris ». Il a commis le viol de deux de ses nièces, a fait des attouchements et a pris des photos pédophiles de la petite fille d’amis.
En 1996, il note dans ses carnets : « Elle sait », sans apporter de précisions supplémentaires. Fait-il référence à son épouse, qui aurait découvert des documents compromettants ? Celle-ci a toujours affirmé ignorer les actes de son mari. Pourtant, les écrits du chirurgien semblent indiquer qu’elle était consciente de la perversité de Joël Le Scouarnec. Pour lui, cela représente un véritable « cataclysme ». Il évoque cette femme comme l’élément déclencheur d’une « folie destructrice […] telle que plusieurs de [ses] petites filles sont mortes ce soir-là ». Il efface alors les listes des enfants qu’il a abusés durant une dizaine d’années, suggérant ainsi que le nombre de victimes pourrait être encore plus élevé.
Cependant, une fois la tempête passée, il est déterminé à « tout faire pour reprendre le fil de [ses] activités pédophiles ». Une tempête qui se répète lorsque la sœur du médecin le confronte à son passé. Elle l’interroge sur les agressions qu’il a infligées à sa fille. En larmes, Joël Le Scouarnec reconnaît les faits et implore son pardon. Dès lors, un silence s’installe au sein de la famille.
À l’hôpital, le chirurgien ne suscite aucun soupçon. Les collègues interrogés par les enquêteurs décrivent un homme « solitaire », discret, perçu comme un « bon professionnel », voire « charmant ». Beaucoup le considèrent comme « passe-partout » ou « invisible ». Toutefois, certains soulignent une personnalité centrée sur lui-même, « égoïste », et un comportement « étrange », notamment lorsqu’il est aperçu errant la nuit dans les couloirs de l’établissement alors qu’il n’est pas de service.
Pourtant, tout aurait pu s’arrêter en 2004. Cette année-là, le FBI démantèle un vaste réseau pédocriminel. En France, trois individus sont inquiétés pour avoir consulté des sites pédopornographiques d’une extrême violence. Joël Le Scouarnec est jugé pour ces faits, mais parvient à dissimuler les preuves de ses crimes. C’est également cette année-là que son épouse quitte le domicile familial.
Face au tribunal, il évoque une « errance ». Le 17 novembre 2005, le tribunal de Vannes le condamne à quatre mois de prison avec sursis intégral, sans obligation de soins. En raison d’une série de dysfonctionnements, sa carrière de chirurgien n’est pas remise en question, et il parvient même à être titularisé au centre hospitalier de Quimperlé, dans le Finistère.
Sans cesser pour autant ses agissements, il devient plus prudent. Son sentiment d’impunité reste toutefois intact. En 2006, il n’hésite pas à apparaître dans un reportage de France 3 Bretagne, alors que le service de chirurgie est menacé de fermeture.
Après son passage à Quimperlé, il intègre le centre hospitalier de Flers, dans l’Orne, tout en effectuant quelques remplacements à Pontivy (56) et Ancenis (44). Le 1er juin 2008, il est nommé au centre hospitalier de Jonzac, en Charente-Maritime, où il reconnaît spontanément auprès de la directrice sa condamnation de 2004.
Cette stratégie du « Mea Culpa » lui permet, à chaque fois, d’échapper aux contrôles. Une manière, peut-être, de faire amende honorable tout en affirmant ouvertement sa nature de pédophile.
Un statut qu’il revendique dans ses carnets mais aussi ensuite dans ses déclarations aux enquêteurs et aux psychologues. Il se décrit volontiers comme un « pédophile », éprouvant même de la « fierté » à appartenir à cette communauté.
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Le 3 décembre 2020, jour de son 70ᵉ anniversaire, la cour d’assises de Charente-Maritime le reconnaît coupable de viols et d’agressions sexuelles commis sur ses nièces, une jeune voisine et une patiente. Il est condamné à 15 ans de réclusion criminelle. Deux mois plus tôt, en octobre, ce chirurgien avait de nouveau été mis en examen pour des faits similaires impliquant 312 victimes présumées. Finalement, 299 d’entre elles seront retenues, certaines affaires étant écartées en raison de la prescription.
C’est donc un procès, qualifié d’« hors-norme » par la justice française, tant par le nombre considérable de victimes (299), que par sa durée (4 mois) et par son budget (3 millions d’euros) qui va s’ouvrir devant la cour criminelle du Morbihan le 24 février prochain.
Joël Le Scouarnec admet en grande partie les faits lors de ses dépositions, bien qu’il affirme souvent ne garder « aucun souvenir » des événements. À plusieurs reprises, notamment lors de son premier procès, il a présenté ses excuses aux victimes.
Cependant, il continue de nier toute pénétration vaginale, malgré des éléments d’enquête qui semblent prouver le contraire. Depuis sa condamnation, il était détenu au centre pénitentiaire de Ploemeur, placé à l’isolement pour éviter d’éventuelles agressions de la part des autres détenus. Il semblerait toutefois bien vivre cette incarcération, s’investissant dans des activités intellectuelles, participant à des ateliers et assistant à la messe.
D’après son avocat, son arrestation aurait constitué pour lui « une libération », l’empêchant de céder à ses pulsions perverses. Joël Le Scouarnec aurait exprimé le souhait de s’adresser à la cour et aux victimes lors de ce procès. Il bénéficie d’un suivi psychologique hebdomadaire. Fin janvier, le chirurgien a été transféré à la maison d’arrêt de Vannes, où il attend son jugement.