En 1895, l’écrivain d’origine irlandaise Oscar Wilde est jugé coupable d’avoir cultivé ce que l’on appelait à l’époque de l’Angleterre victorienne « des relations contre nature ». Il sera très lourdement condamné.
En ces temps où l’homophobie fait encore bien des ravages dans de nombreux pays du monde, il n’est pas inutile de revenir sur cette affaire qui a bouleversé et détruit toute une famille et pèse encore aujourd’hui sur les descendants d’Oscar Wilde.
Les faits :
Tout commence en 1891, lorsque cet homme séduisant et raffiné, fêté dans toute l’Angleterre, connue aux États-Unis par ses conférences sur sa théorie de l’esthétisme, rencontre Lord Alfred Douglas, fils du marquis de Queensberry, qui devient très vite son amant. Les deux hommes fréquentent le « tout Londres » et affichent leur homosexualité.
Oscar Wilde est marié. Il a épousé sept ans plus tôt constance Llyod, avec qui il aura deux fils, Cyril et Vyvyan. Il a publié l’année précédente le portrait de Dorian Gray qui marque le début de sa célébrité littéraire.
Mais le père d’Alfred, John Sholto Douglas, marquis de Queensberry, désapprouve cette relation tapageuse et demande à Wilde, à plusieurs reprises, et parfois publiquement, de s’éloigner de son fils. Il provoque notamment un scandale lors de la première d’une pièce de Wilde, en brandissant une botte de navets symbolisant la qualité qu’il attribue à son œuvre. Et l’accusant devant tout un parterre de spectateurs mi amusé, mi consterné de relations coupables avec des jeunes gens et des gigolos prostitués.
Dans un premier temps, Wilde décide de ne pas réagir, mais, début 1895, le marquis remet au portier d’un des clubs habituels fréquenté par l’écrivain, le club Albermarle, une carte de visite où il a inscrit ses mots :
« for Oscar Wilde, posing as somdomite » !
Ce qui peut se traduire par
« pour Oscar Wilde qui s’affiche comme sodomite »,
avec une faute d’orthographe qui sera ensuite reprise dans le langage courant en Angleterre.
Wilde est furieux et il décide d’intenter au marquis un procès en diffamation. Mais la loi anglaise prévoit que si des propos diffamatoires recouvrent des comportements réellement hors-la-loi, l’auteur de ces propos ne peut pas être condamné. Et celui qui est visé peut, en revanche, être poursuivi par la justice.
C’est ce qui va se passer en vertu d’une loi, votée 10 ans plus tôt, en 1885, qui interdit l’homosexualité et qui prévoit une peine maximale de deux ans de travaux forcés. Oscar Wilde doit donc répondre de cette accusation et il est finalement condamné à cette peine très lourde qu’il effectuera dans différentes prisons, dont la fameuse Geôle de Reading. Une prison dont très peu de condamnés sortent vivants car les conditions d’incarcération et de travail forcé y sont plus qu’inhumaines.
Oscar Wilde est aussi déchu de ses droits paternels, et ses biens personnels sont confisqués pour payer les frais de justice. Sa femme doit se réfugier en Allemagne, puis en Suisse où elle change de nom pour échapper à la honte qui poursuit la famille au-delà des frontières.
Alfred Douglas, pourtant en partie cause de ses malheurs, s’exile en France puis en Italie où il restera pendant plus de trois ans avant de revenir en Angleterre.
Oscar Wilde est finalement libéré à l’issue de sa peine, en 1897. Il s’exile alors en France, du côté de Dieppe, puis à Paris. Lui aussi a changé de nom, il s’appelle désormais Sébastien Melmoth. Il finira ses jours dans la solitude et la misère le 30 novembre 1900, à 46 ans.
Une mort « au-dessus de ses moyens », comme il le disait lui-même. Dans son hôtel de la rue des Beaux-Arts, avant d’entrer en agonie, il faisait un dernier mot d’humour :
« mon papier peint et moi nous nous livrons un duel sans merci. Il faut que l’un de nous deux s’en aille. »
Les deux chefs-d’œuvre, écrit par Oscar Wilde pendant son emprisonnement : de profundis, une longue lettre à Bosie, publié à titre posthume dans une version expurgée en 1905, et balade de la Geôle de Reading, achevée après sa libération.
La dernière victoire :
A sa sortie de prison, Oscar Wilde écrit à l’un de ses amis :
« oui, je n’ai aucun doute que nous gagnerons, mais la route est longue et rouge d’un monstrueux martyre. »
En 1902, le mot « homosexuel » fait son entrée dans le supplément du nouveau Larousse illustré et désigne une « pathologie ». En 1967, 3 mois après la mort de son fils cadet, Vyvyan Holland qui a toujours défendu sa mémoire, le Criminal Law Amendement Act est abrogé.
Il faudra attendre l’année 2000 pour que le Royaume-Uni abroge enfin l’une de ses dernières lois anti homosexuelles.
Hasard du calendrier, on fêtait cette année-là le centenaire de la mort du grand écrivain.