8 livres tout juste primés récemment à offrir

 

« Veiller sur elle » de Jean-Baptiste Andrea, Prix Goncourt et Prix du Roman Fnac

Mimo est né pauvre, Viola, elle, dans un palais génois, au cœur d’une famille prestigieuse, dont elle est l’héritière. Leur improbable rencontre, dans cette Italie du XXe siècle, tient à leur refus d’accepter la place qu’il leur est assigné. « Les gens qu’on aime, on ne les rencontre pas, voyons, on les reconnaît », écrivait Anna Gavalda dans La vie en mieux (La dilettante, 2014). Voilà ce que le premier croisement de regards entre le jeune homme apprenti sculpteur qui s’apprête à prendre sa revanche sur son sortet la descendante de la famille Orsini nous fait ressentir. Une connexion de l’ordre des retrouvailles, à l’épreuve du fascisme qui s’empare du pays.

L’écrivain salué par l’Académie Goncourt dépeint leur histoire romanesque dans la grande Histoire, et celle de l’art, comme il aurait peint une fresque. La grâce que l’on trouve dès le titre, Veiller sur elle, plane sur chaque page.

Un extrait de Veiller sur elle :

« Elle me sourit, un sourire qui dura trente ans, au coin duquel je me suspendis pour franchir bien des gouffres. »

 

« Triste tigre » de Neige Sinno, Prix Femina et Prix Goncourt des lycéens

 

L’événement de la rentrée littéraire récompensée par le Prix Femina. Dans le puissant et bouleversant Triste tigre (P.O.L), aussi salué par le Prix Goncourt des lycéens, Neige Sinno décortique les détaille précisément les violences subies, choquantes, les mécanismes de l’inceste, l’onde de choc qui perdure sur son être. Enfant, entre 7 et 14 ans, l’écrivaine a régulièrement été violée par son beau-père.

Comment raconter l’indicible ? Quels mots suffiraient ? Dans cette confrontation avec les limites du verbe, Neige Sinno convoque Toni Morrison, Christine Angot, ou encore Virginie Despentes, qui ont, avant elle, écrit l’inceste.

Un texte profondément dur, sa « petite bombe artisanale qu’on fait exploser tout seul chez soi » comme elle le formule entre ses pages, d’utilité publique pour les prises de conscience, comme le furent La Familia Grande de Camille Kouchner et Le Consentement de Vanessa Springora.

Un extrait de Triste tigre :

« Un enfant ne peut pas ouvrir ou fermer la porte du consentement. Il n’atteint pas la poignée. Elle n’est simplement pas à sa portée. »

« Les Insolents » d’Ann Scott, Prix Renaudot

 

C’est l’histoire de trois quadras parisiens, liés par une solide amitié : Jacques, Margot, Alex. Cette dernière, compositrice de musique de films, décide de quitter Paris et son épuisante effervescence.  Direction une maison au bord de l’Atlantique, surtout le silence et la solitude, un rêve pour Alex.

La romancière entrecoupe le récit de cette nouvelle vie rurale et ses changements très concrets, mais non envisagés avant de se lancer, depuis Paris, à celle qui se poursuit justement dans la grande ville bruyante, pour ses amis, Jacques et Margot. Des personnages si bien racontés qu’ils se dressent sur la page comme des êtres de chair, attachants.

Ann Scott dépeint avec délicatesse les questionnements face au temps qui file, aux rêves déchus, aux regrets ou envies renouvelées. Un roman mélancolique, intime, donc puissamment universel.

Extrait Les Insolents :

« Elle ne se sent pas seule ici, elle ne l’est pas.Elle est entourée de tous les génies imaginables à chaque seconde. Il lui suffit de mettre n’importe quel disque, de plonger dans n’importe quel film, d’ouvrir n’importe quel livre. Elle parle à ses fantômes en permanence. »

« Impossibles adieux » de Han Kang, Prix Médicis de la littérature étrangère

Inseon est hospitalisée en urgence à Séoul, après s’être sectionnée deux doigts en coupant du bois puis évanouie. Gyeongha, la narratrice, l’apprend par un message envoyé par cette amie perdue de vue, qu’elle s’apprêtait à retrouver. Depuis sa chambre d’hôpital, celle-ci lui demande un service : nourrir son perroquet blanc d’ici la fin de la journée, sans quoi, il mourra. Mais Inseon et son oiseau imitateur habitent sur l’île isolée de Jeju, à une heure de vol de Séoul. Sur la longue route d’Inseon et des preuves d’amitié, une tempête de neige s’abat. Nous sommes au cœur de l’hiver, le vent la glace.

C’est l’une des histoires que Han Kang et son écriture poétique nous content dans Impossibles adieux, paru dans la collection « En lettres d’ancre » de chez Grasset. Si ces pages nous transportent tel un voyage onirique, un songe enneigé, d’autres nous racontent une histoire réelle de son pays. Celle du massacre de milliers de civils par l’armée. Han Kang offre une sépulture de papier à ces victimes oubliées, tuées parce que communistes, en 1948 et 1949. Un roman entre rêve et cauchemar.

 

« La Sentence » de Louise Erdrich, Prix Femina Étranger

Tookie, quadragénaire d’origine amérindienne, est arrêtée, après avoir aidé des amis à déplacer un corps, qui, de plus, caché de la drogue. En prison, une ancienne professeure lui envoie un dictionnaire, qui devient son compagnon de détention, son échappée, au moins par l’esprit.
La Sentence – comme ce premier mot qu’elle a recherché dans le gros livre – raconte ce qu’elle va subir lors de sa liberté conditionnelle. Embauchée par une petite librairie de Minneapolis, Tookie ressent dans les rayonnages la présence de Flora, plus fidèle cliente récemment décédée.
Sous la plume poétique de la romancière amérindienne Louise Erdrich – aussi libraire dans la vraie vie -, Tookie est hantée par le fantôme de Flora, et l’Amérique, par le siens – le racisme notamment. La mort de Georges Floyd est d’ailleurs au cœur de cette histoire contemporaine. Un conte historique, voire sociologique, doublé d’une ode à la lecture et au pouvoir des mots.
Extrait de La Sentence :
« Le ravissement manque de consistance ; le bonheur a plus d’assise ; l’extase est ce que je vise ; la satisfaction, ce qu’il y a de plus dur à atteindre. »

« Panorama » de Lilia Hassaine, Prix Renaudot des lycéens

France, 2049. Vingt ans après une révolte surgie en 2029, qui a conduit à instaurer cette nouvelle ère, celle de la transparence totale, extrême. Dans cette société imaginée par Lilia Hassaine, où personne ne doit rien cacher, où les citoyens habitent des appartements aux murs en verre, transparents, et sont ainsi observés, contrôlés, et où la criminalité n’existe presque plus, une famille entière disparaît. Volatilisée au cœur du plus transparent des quartiers. Inexplicable et troublant. Hélène, ancienne commissaire de police, se met à enquêter. Quand le polar rejoint le roman dystopique.
Avec ce troisième livre publié dans la prestigieuse collection blanche des éditions Gallimard et distingué du prix Renaudot des lycéens, la journaliste et écrivaine questionne choisit la fiction et le temps du futur pour interroger notre présent. Un roman comme un miroir grossissant qu’elle nous tend.

Extrait de Panorama :

« Si l’amour ne dure pas, c’est bien pour cette raison que tu le chercheras, pour une seconde de folie qui vaut l’éternité, pour te sentir unique alors que c’est banal. »

 

« Western » de Maria Pourchet, Prix de Flore

Entre les pages de son Western, qui avait été également présélectionne pour le prix Renaudot, Maria Pourchet (Toutes les femmes sauf une, Feu…) revisite le personnage de Dom Juan et raconte comment une mère célibataire à Paris traverse la vie d’Alexis Zagner, acteur à succès un brin goujat. De sa plume précise, la romancière interroge l’amour, avec humour et finesse.

Un extrait de Western :

« Elle portait sa beauté comme un vieux pull, sans réfléchir. »

« Que notre joie demeure » de Kevin Lambert, Prix Médicis et Prix Décembre

Après avoir ausculté les inégalités et leurs conséquences en se plaçant du côté des plus précaires, le romancier québécois tout juste trentenaire les décryptent du point de vue des privilégiés.

Dans Que notre joie demeure (éditions Le nouvel Attila), doublement distingué (Prix Médicis et Prix Décembre), l’auteur de Tu aimeras ce que tu as tué et Querelle de Roberval nous dépeint Céline Wachowski, architecte de renom à Montreal, 67 ans, millionnaire, qui se considère de gauche, et ne comprend pas le tollé provoqué par son nouveau projet, le plus ambitieux de sa carrière : la construction du siège social d’une multinationale dans la veine d’Amazon.

De la polémique sur la gentrification que causerait une telle installation au renvoi de sa propre entreprise, le pas est rapidement franchi. On l’accompagne alors dans sa traversée du désert et ses réflexions.

Kevin Lambert analyse chirurgicalement, incisivement, la psychologie et la sociologie de ses personnages.

Extrait de Que notre joie demeure :

« Au fond les choses n’ont pas vraiment changé depuis l’époque de Proust, la plupart des gens du milieu des affaires se font croire qu’ils sont issus de nulle part, artisans de leur réussite, sans mentionner les parents médecins, banquiers, hauts fonctionnaires, les études dans les écoles privées de grandes villes, l’aristocratie existe toujours (…). »

 

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