Demolition Man : Film culte des années 90

Sylvester Stallone vs Wesley Snipes dans un futur où règne le politiquement correct : c’est Demolition Man, film culte des années 90.

Deux énormes stars qui s’affrontent, un futur où la dictature du politiquement correct a tout étouffé, une production ambitieuse qui résume bien l’industrie : 25 ans après, Demolition Man reste un petit classique plus ou moins régressif selon les avis.

Demolition Man, c’est l’histoire d’un Sylvester Stallone, le gentil flic, et Wesley Snipes, le méchant gangster. Tous deux cryogénisés en 1996, ils se réveillent en 2032, dans un monde pseudo parfait où tout est beau et propre. Et où leur affrontement va pouvoir continuer dans ce futur.

Le film de Marco Brambilla, produit par Joel Silver, reste un plaisir (coupable) à voir et revoir.

L’IDÉE

La première fois que le scénario de Demolition Man apparaît sur les radars, c’est en 1988. Il est signé Peter M. Lenkov, qui travaille alors comme assistant de production dans l’industrie, et a imaginé l’histoire en écoutant la chanson éponype de The PoliceLa première version est plus sombre et sérieuse, et il y aura bien des évolutions et réajustements au fil des années. Deux autres scénaristes, Jonathan Lemkin et Craig Sheffer, passent sur le projet, parfois en même temps.

Finalement, le producteur superstar Joel Silver (L’Arme fatalePredatorPiège de cristal) reprend tout en main. Il paye les trois scénaristes pour les calmer, et en engage deux autres, Robert Reneau et Daniel Waters. C’est ce dernier qui a notamment eu l’idée des fameux trois coquillages : la légende dit qu’il cherchait un élément décalé, et a appelé un ami scénariste qui était dans une salle de bain, et lui a dit qu’il avait sous les yeux un panier de coquillages en décoration sur les toilettes. Ce qui a suffi à inspirer Waters.

 

Demolition man : Photo Wesley Snipes

 

Fred Dekker, le comparse de Shane Black, a apporté une petite touche officieuse en script doctor. C’est lui qui a amené l’idée d’ouvrir le film à l’époque contemporaine de Spartan et Phoenix : le scénario s’ouvrait alors directement dans le futur, avec le réveil du protagoniste. Dekker a proposé de changer ça, en citant Le Magicien d’Oz : « Si tu montres pas le Kansas, Oz n’a rien de si spécial ».

Autre idée écrite, abandonnée à cause des coûts : Stallone et Snipes devraient vieillir plus vite que la normale au fil du film, après leur réveil de cryogénisation, rattrapés peu à peu par les décennies derrière eux.

Pour réaliser ce film, pas de Richard Donner, Tony Scott ou John McTiernan, qu’il avait repérés avec leurs précédents films. Silver a pris la confiance, avec ses suites 58 minutes pour vivrePredator 2L’Arme fatale 3 (qui a droit à une affiche dans le bureau de Lenina, dans le film). Il choisit l’inconnu Marco Brambilla, venu de la pub, qui ne fera pas grand-chose après – si ce n’est la série Dinotopia.

LES MUSCLES

Mais la vraie grande question sera de trouver les acteurs. Dès le départ, tout le monde veut des visages reconnus. Mickey Rourke était l’une des premières pistes, mais la vraie ambition initiale sera de réunir Steven Seagal et Jean-Claude Van Damme. Aucun ne voulant jouer le méchant, c’est l’impasse.

Sylvester Stallone débarque, dans le rôle de John Spartan. Il veut Jackie Chan en Simon Phoenix, mais lui aussi refuse d’abîmer son image de héros. Arrive alors Wesley Snipes.

Pour Stallone, c’est le début d’une décennie compliquée, entre la gloire d’hier qu’il traîne, et une nouvelle ère qu’il tente d’affronter. Le virage vers les années 90 a été difficile, avec les non-succès de Tango & Cash et Rocky V, quand les comédies L’Embrouille est dans le sac et Arrête ou ma mère va tirer ont été des bides gênants.

De son côté, Wesley Snipes est une valeur montante : c’est la nouvelle garde moderne. Révélé par Spike Lee dans Jungle Fever, il affronte Sean Connery dans Soleil levant, et accède déjà aux premiers rôles avec L’Extrême Limite et surtout Passager 57. Le duel entre les deux a donc une portée hautement symbolique, entre le roc d’hier, et la fougue punk (et afro-américaine) de demain.

 

Photo Sylvester Stallone

 

LE FUTUR

Ce futur qui est désormais à nos portes (il est même déjà là : dans le film, le dernier crime remontait à 2010), c’est celui du politiquement correct devenu dictature, et d’une forme d’hygiène suprême qui, tel un bulldozer, a tout écrasé pour l’individu. Celui qui ose dire un gros mot recevra immédiatement une amende via un appareil fixé aux murs. Celui qui veut du sexe, devra se contenter de la VR. Celui qui veut fumer, boire un café, manger de la viande, de l’essence, de la nourriture épicée, ou du chocolat, des jouets débiles, devra faire sans.

« Tout ce qu’on estime comme pas bon pour vous, est considéré comme mauvais. Et donc, illégal ».

Los Angeles, San Diego et Santa Barbara ont fusionné pour devenir la méga-métropole San Angeles. Taco Bell a remporté la guerre des franchises, si bien que tous les restaurants sont des Taco Bell (Pizza Hut en français). L’argent a disparu, pour laisser place à des crédits virtuels. Les contacts humains sont réduits au minimum, avec des gestes barrière devenus la norme (les mains ne sont plus serrées, à la place il y a un signe à distance). Les voitures sont électriques et silencieuses, et les rues, bordées d’arbres et espaces verts.

Difficile de ne pas se dire, presque trente ans après, qu’il y a du vrai dans ce futur de Demolition Man.

 

Photo Sylvester Stallone, Sandra Bullock« Voulez-vous coucher avec moi ce soir ? »

 

Bien sûr, rien n’a vraiment changé. Comme la pelouse de Blue Velvet qui cache des insectes grouillants, celles de San Angeles cachent un bidonville géant, comme si toute la pauvreté avait été dissimulée sous le tapis d’une cité radieuse et verdoyante. La révolte gronde, comme toujours, et ce sous-sol est le seul territoire libre, où chacun a le droit d’être irresponsable, vulgaire, bête et sale.

Que le bad guy qui régit cette horreur de bonheur aseptisé ressemble à un pape, avec sa toge blanche et son chapeau, avec son assistant sorti de La Cage aux folles, rend Demolition Man encore plus punk.

 

Photo Wesley SnipesWesley Snipes avait alors sa carrière devant lui

 

LE CRÉPUSCULE DES HÉROS

Au-delà de cette satire, Demolition Man s’amuse avec le genre, et se joue des clichés. Lorsque Stallone retrouve un ancien camarade pour une empoignade virile et légère, le personnage de Sandra Bullock explique à ses collègues médusés que c’est un comportement propre aux mâles hétérosexuels qui manquent de confiance en eux.

Plus tard, quand le héros montre sa sensibilité et s’excuse d’un accès de colère, elle le rassure : « Je vous ai pris pour le prototype de l’homme-viril-qui-veut-exploser-le-méchant-avec-un-sourire-satisfait. Mais maintenant je comprends que vous êtes plutôt le flingueur-morne-au-passé-trouble-qui-ne-tire-que-s’il-n’a-pas-le-choix ». Spartan refuse cette étiquette, mais sa collègue le calme et lui rappelle quasiment le titre du film pour mettre un terme à la discussion.

Si Spartan est réécrit pour avoir le besoin irrépressible de tricoter, c’est pour le rire, mais pas que. Il y a là quelque chose de l’ordre du regard sur les clichés du genre, et leur bêtise. Phoenix, lui, est revenu avec des connaissances immenses qui lui permettent de tout pirater et comprendre : comment ne pas y sentir un clin d’œil aux facilités des scénarios hollywoodiens, où les personnages semblent toujours capables de piloter, manier et analyser en cas de besoin ? Même chose lorsqu’il s’agit de sexe : Lenina parle de la violence qui amène le sexe, réduisant la narration à une équation basique, bête et automatique, pleine d’ironie.

 

photo, Benjamin Bratt, Sylvester Stallone, Sandra Bullock

 

Que Lenina Huxley soit une fanatique du « vulgaire 20e siècle« , qui collectionne des jouets en plastique, des figurines de Batman, et même des affiches de film comme L’Arme fatale 3, n’est pas anodin. Elle rêve d’action parce qu’elle a trop lu d’histoires, et a appris à se battre parce qu’elle a vu des films avec Jackie Chan. Elle est quasiment comme le spectateur, qui connaît les règles, accepte de jouer le jeu, et rêve de passer de l’autre côté de l’écran, avec sa maladresse et sa candeur.

Sachant que la même année est sorti Last Action Hero, où Schwarzenegger traverse littéralement l’écran pour inonder le réel avec la fiction, il y avait quelque chose dans l’air. Surtout que Schwarzy est cité par Stallone dans Demolition Man : l’acteur a été président des Etats-Unis dans ce monde… et 10 ans après, dans la vraie vie, il sera gouverneur, là aussi malgré sa nationalité autrichienne, comme mentionné dans le film.

Le vertige est encore plus grand pour ceux qui se souviennent que dans Last Action Hero, Schwarzy croise une affiche de Terminator 2... avec Stallone à sa place. L’une des raisons pour lesquelles les années 90, c’est fabuleux.

 

photo, Sylvester StalloneI’ll be back in the future

LA VIOLENCE

La production ne s’est pas fait sans heurt. Lori Petty a notamment été remplacée par Sandra Bullock après deux jours de tournage, officiellement pour différends artistiques. Des années plus tard, à Daily Beast, elle refusera d’en dire plus, parlant simplement d’un des « jours les moins cool » de toute sa vie à Hollywood.

Sans surprise, pas mal de choses seront coupées du film. Phoenix devait tuer Zachary Lamb, le vieil ami du héros incarné par Bill Cobbs, et Kate, la fille de Spartan, devait être là : il la retrouvait par hasard dans le monde sous-terrain. Tout ça sera coupé, et ce personnage uniquement évoqué dans les dialogues… sauf que quelques traces de cette sous-intrigue sont encore à l’écran. Lorsque Phoenix attaque John, Lenina et Alfredo dans les bas-fonds, le héros protège une inconnue, qui est en réalité sa fille, jouée par Vasilika Vanya Marinkovic. Elle réapparaît à la fin du film, juste derrière Edgar Friendly.

Le scénariste Daniel Waters a aussi expliqué que l’une des raisons qui a poussé à couper du montage la fille de Spartan, est que, lors des projections-test, le public pensait que Lenina allait se révéler être sa progéniture… jusqu’à ce que les deux parlent de sexe. Pour éviter cette gêne, tout le monde a décidé d’effacer au maximum l’idée de la fille du héros dans le film.

 

photo, Wesley Snipes

 

Et surtout, la production aurait été bien plus compliquéé que prévu. LA Times écrivait à l’époque que les 72 jours de tournage sont devenus 112 jours, avec en plus 75 jours pour la seconde équipe (les cascades et autres images sans les acteurs principaux). Le budget initial de 45-50 millions aurait alors explosé, jusqu’à approcher des 100 millions. Cinq assistants réalisateurs se seraient succédés sous les ordre d’un Joel Silver forcément pas rassuré, tandis que certains membres de l’équipe s’envolaient vers d’autres engagements face à ces délais repoussés.

Le budget marketing est aussi ambitieux pour l’époque, avec près de 20 millions dépensés en un mois en comptant les publicités à la TV américaine.

photo, Sylvester StalloneUn petit Rat-burger ?

 

LA POSTÉRITÉ

À sa sortie, Demolition Man est un petit succès moyennement impressionnant : près de 160 millions au box-office mondial, dont moins de 60 côté domestique. Si le budget officiel était d’environ 50 millions, c’est bien ; si c’était le double, beaucoup moins bien.

Les histoires de gros sous et business poursuivront le film, puisque l’auteur de science-fiction hongrois István Nemere parlera de plagiat, et dira que Demolition Man est fortement inspiré par sa nouvelle Fight of the Dead, publiée en 1986 : elle raconte l’histoire d’un terroriste et un soldat, cryogénisés et réveillés aux 22e siècle, pour constater que la violence a été éradiquée. L’auteur dira que 75% de Demolition Man est similaire à son travail, mais qu’il n’a même pas osé se lancer dans un procès face aux géants hollywoodiens.

En 2017, c’est Stallone lui-même, ainsi que sa société de production Rogue Marble, qui se retournent contre Warner Bros., estimant que le studio a intentionnellement caché des profits de ce film, ainsi que trois autres qu’il a tournés chez eux. Son contrat stipulait qu’il avait droit à 15% des recettes en salles jusqu’à 125 millions, puis 20% au-delà des 200 millions. L’affaire sera réglée à l’amiable (et à l’encre d’un chéquier, de toute évidence), en 2019.

 

photoP

 

Au fil des années, les langues se sont déliées sur le tournage. Sandra Bullock dira que sa relation avec Stallone a d’abord été tendue, avant qu’il ne la considère comme sa petite sœur. Au point de la réveiller en pleine nuit pour lui proposer une partie de golf. Denis Leary expliquera que la star avait son propre terrain de golf pendant le tournage.

Peu importe le bilan financier, le film deviendra culte. Taco Bell en fera même l’inspiration pour un stand au Comic-Con 2018. Normal donc qu’une suite ait failli voir le jour, comme l’a expliqué le scénariste Daniel Waters au podcast Projection Booth il y a deux ans. Et cette continuation aurait remis en scène la fille de Spartan, coupée du montage :

« J’ai reçu un appel de Joel Silver. ‘Qu’est-ce que tu penses de ça ? Meryl Streep est la fille de Stallone dans la suite. T’en penses quoi ?’. J’étais genre, ‘Ok, amène Meryl sur le plateau et je viens' ».

Une idée aussi étrange que géniale, qui n’a bien évidemment rien donné.

Demolition Man restera donc une pépite unique, qui brille d’un éclat particulier dans le paysage des années 90, surtout la même année que Jurassic ParkMadame DoubtfireLe FugitifFortressTrue romance et Super Mario Bros..

Vivement 2032, que tout le monde puisse comparer avec la réalité.

 

PhotoFinish him

Et la réponse a la fameuse question ?

Demolition Manse termine avec la grande question du futur : bordel, comment utiliser ces trois coquillages ? Depuis, Stallone a plus ou moins répondu en 2006, avec Ain’t It Cool News, :

« C’est peut-être grotesque, mais la manière dont ça m’a été expliqué par le scénariste, c’est que vous tenez deux coquillages comme des baguettes chinoises, pour retirer en douceur, et gratter ce qui reste avec le troisième. C’est vous qui l’avez demandé… faut faire attention à ce qu’on veut savoir, désolé. »

De rien.

 

Un commentaire sur « Demolition Man : Film culte des années 90 »

  1. J’ai grandi à 10 kilomètres du bâtiment qui servait en tant que « Taco Bell » dans ce film, avec la pyramide blanche en plastique. De nos jours, il abrite des bureaux de startups et s’appelle « San Diego Innovation Center ».

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